Par la Docteure Barbara Tisseron, pédiatre, médecin légiste et responsable de l’unité médico-judiciaire du CHR d’Orléans
Les enfants, co-victimes de violences conjugales, grandissent dans un climat de grande insécurité et de terreur.
Le retentissement à court, moyen et long terme est maintenant bien connu.
Les conséquences sont multiples : bien-sûr psychologiques avant tout, mais aussi physiques et sociales.
NDLR : les conséquences sont identiques pour les enfants ne présentant pas de symptômes apparents. Ce sont des enfants dits suradaptés.
Ces conséquences des violences conjugales varient selon leur fréquence, la durée d’exposition aux violences, la gravité des violences mais aussi en fonction de la place de l’enfant dans sa famille (aîné, enfant unique).
La mise à l’abri des enfants avec leur mère n’est pas synonyme de disparition du retentissement psychologique.
Si les violences persistent et que les enfants y restent confrontés, même à distance, ceux-ci continuent à en souffrir et ne peuvent accéder à des soins psychologiques qui pourraient leur permettre d’aller mieux.
Les conséquences sociales sont multiples sur la socialisation (les enfants sont enfermés dans le huis clos familial avec l’interdiction d’évoquer ces violences à l’extérieur du domicile), la scolarisation (asthénie, reviviscences des violences sous forme de flash-back, entraînant des troubles de l’attention et de la concentration…), sur la vie affective au long cours.
Les conséquences physiques sont également multiples et surtout intéressent tous les âges de la vie. Elles interviennent dès le stade ante-natal, in utero (retard de croissance intra-utérin, souffrance fœtale aiguë, prématurité, mort in utero…).
Chez le nouveau-né, le risque est double pour celui-ci, à la fois toujours exposé aux violences conjugales mais aussi à risque de secouement (syndrome du bébé secoué) pour les bébés pleurant de façon excessive.
Il existe également un risque de carences affectives et donc de retentissement sur le développement psychomoteur si la mère se trouve dans un tel état de détresse qu’elle ne possède plus les ressources psychiques pour s’occuper de ce bébé.
Chez les enfants et les adolescents, il est fréquent d’observer des troubles somatiques (céphalées, douleurs abdominales, malaises à répétition, pathologies ORL, dermatologiques, allergies…).
Il peut également être mis en évidence des troubles du développement psycho moteur, des conduites à risque en particulier chez les adolescents, des mises en danger (fugues, addictions…: avec un risque de mourir d’un accident 10 à 20 fois supérieur à la population générale).
Ces enfants présentent 6-15 fois plus de risque d’être de nouveau victimes de violences au cours de leur vie.
Les conséquences impactent ces victimes jusqu’à l’âge adulte qui présentent un risque psychiatrique et d’addiction 4 à 12 fois supérieure à la population générale, un risque de pathologies somatiques diverses (cancer, infarctus, diabète ….).
40 à 60% des hommes violents ont été eux-mêmes co-victimes de violences conjugales dans leur enfance.
Les conséquences sont donc graves et persistantes dans le temps.
Il est primordial de considérer les enfants exposés aux violences conjugales comme des victimes à part entière et les prendre en charge comme tel.
Les Unités d’ Accueil Pédiatrique Enfance en Danger (UAPED) sont des lieux qui permettent un parcours médico-judicaire protégé alliant la pédiatrie et la médecine légale autour des violences et de l’enfance en danger.
Un lieu où les exigences médico-légales s’allient au soin, à la protection, au dépistage, à la prévention, au respect des droits de l’enfant et de leur particulière vulnérabilité.
L’intérêt est de prendre en charge les enfants sur un temps et lieu unique par une équipe hospitalière pluridisciplinaire dédiée alliant pédiatre, pédiatre légiste, médecin légiste, psychologue, assistante sociale, infirmière, secrétaire… et un travail conjoint avec les enquêteurs.
Pour cela, il est nécessaire que le recueil de la parole des enfants se fasse par des enquêteurs formés et en particulier au protocole NICHD développé par la psychologue, Mireille Cyr, au Canada.
Au total, la prise en charge des enfants victimes de violences conjugales, est un véritable enjeu de santé publique et mérite toute notre attention.